A l'encontre des préceptes (2)
La moitié de ma vie.
Ca me fait bizarre de dire cela, j'ai l'impression de ne plus en avoir depuis longtemps.
Dix-sept ans qu'elle me hante. Que je n'arrive pas à la sortir de ma tête. Elle, que j'ai quitté sous un faux prétexte par une après-midi d'automne.
Elle, mon amour, mon âme-soeur, ma confidente, ma meilleure amie. Elle qui savait si bien apaiser ma rage...
Je me souviens de notre première rencontre, comme si il s'agissait d'hier. Sur cette plage où je viens de passer quelques jours à essayer de me changer les idées, sans grand succès. Je me souviens de l'avoir regardée du coin de l'oeil tandis qu'elle se baignait avec son petit cousin. Dans son maillot blanc à rayures bleu marine, si transparent.
Je l'ai abordée en l'appelant par son prénom. Elle en a ri. Nous avons passé l'heure suivante à discuter, en nous laissant dériver pour nous éloigner du regard de nos familles respectives.
Je me souviens de notre premier baiser, mes lèvres étaient en feu, mon souffle coupé. Les yeux ouverts. Toujours pour le premier.
Je me souviens de notre premier rendez-vous en amoureux. Pour soit disant aller assister à un concert donné à la vieille citadelle de Bastia, où nous n'avons jamais mis les pieds de la soirée, ayant rejoint illico presto la première ruelle sombre à notre portée.
Je me souviens de son corps contre le mien alors que nous nous étions réfugiés dans le jardin Romieux, de cette patrouille de police qui nous en a délogé. De la première fois où je lui ai dit “je t'aime” et de sa réponse étrange. De lui avoir dit ensuite un mot de trop et de ma vaine et maladroite tentative pour m'en faire pardonner.
Je me souviens de notre ballade le long de la jetée sud du Vieux-Port. De ce rocher, à deux pas des vagues venant se fracasser sur la digue, où j'ai embrassé ses seins avec fougue.
De notre retour à travers les ruelles de la vieille ville pour revenir avant la fin du concert, parsemé de quelques arrêts au grè des portes cochères rencontrées. De ce nectar d'abricot qui n'a pas su nous désaltérer malgrès la soif en attendant nos “taxis” respectifs.
Le lendemain je partais pour trois semaines dans les pays scandinaves. Sans lui avoir donné mon numéro à Paris. Ma soeur, ou l'une de mes cousines, le lui a donné le lendemain. Oralement. Elle l'a appris par coeur.
J'ai passé par la suite de longues heures au téléphone avec elle. Je lui ai écrit des lettres de dix pages, elle me répondait avec autant de pages.
Je me souviens de cette lettre glaciale de novembre que je lui ai envoyé. De son appel le jour de mes dix-sept ans sans l'avoir lue. De notre première rupture à cause de la distance. Saleté de distance.
Nous nous sommes revus les grandes vacances suivantes.
Je me souviens de nos retrouvailles, comme si rien ne s'était passé entretemps. Oubliés ces six mois d'échange de missives sulfureuses. A coups de Verlaine ou de Baudelaire. (Hymne, Le Poison, Remords Posthumes...)
J'ai encore toutes ses lettres. Celles hebdomadaires de la première année. Les mensuelles, puis semestrielles, des années suivantes. Puis les lettres ont fait place aux cartes de voeux pour souhaiter la bonne année, et de temps en temps, aux faire-parts de naissance de ses enfants.
Je me souviens de notre première nuit pas si extraordinaire que cela, notre inexpérience commune y étant pour beaucoup. Je ne pourrai jamais oublier la suivante, dans la chambre aux fenêtres grandes ouvertes à la brise marine, éclairée par la Lune, de cette maison d'Erbalunga. Qui ne s'est terminée que peu avant l'aube.
Je me souviens encore, dix-sept ans après, de l'odeur de sa peau, et de son goût, de son sexe gorgé de désir, de ses larmes.
Je me souviens de ce week-end passé chez elle il y a plus de dix ans de cela. De notre longue conversation en tête à tête pendant que son homme d'alors dormait dans la chambre d'à coté. De moi lui répétant qu'entre nous il n'y avait plus rien quand tout mon corps n'attendait que le sien. Je lui aurais fait l'amour toute la nuit à nouveau si elle me l'avait demandé... Un jour je lui demanderai pourquoi ce mouvement rapide contre moi, que je n'ai pu ni empêcher, ni retenir, alors que nous étions allongés sous la couverture. S'en souvienda-t-elle encore ? Simple vérification de mes mensonges ou déjà mes problèmes de communication... ?
J'ai eu tant envie de te voler un dernier baiser sur le quai de la gare le lendemain au moment de mon retour.
Je t'aime, toi, mon amour, toi, ma déchirure.
Toi, ma douleur...
Tu l'as toujours su de toute façon. Nos silences lors de mes visites ultérieures en disaient bien plus que toutes les paroles que nous échangions alors. Un regard suffisait à combler ces années d'absences.
Je sais que c'est absurde, que j'aurais dû t'oublier depuis longtemps comme tu l'as si bien fait avec moi. Que ressasser ces souvenirs ne m'aide pas à aller de l'avant. Certes, j'en ai rencontré d'autres que toi depuis, mais aucune n'a réussi à te remplacer. Il y en a bien eu une ou deux qui auraient pu pourtant, mais elles sont parties avant.
***
Ce soir, je t'appellerai, comme chaque année à la même époque. Je te dirai que je vais bien, que la vie est belle, même si ce n'est pas vrai. Je prendrai des nouvelles de tes enfants. De toi et de ton année de plus.
Et je ne te dirai pas, encore une fois, à quel point tu me manques tant.
E vado vita.
Dido - White Flag
#1 - Romuald a dit :