Cogito ergo sum
Je regarde par delà la brume et je me dis qu'en ces temps anciens, il faisait bon dormir. Dormir d'un sommeil sans rêves, d'un sommeil si profond que rien ne semblait pouvoir un jour s'arrêter.
Et pourtant.
Ai-je dormi un mois ? Un an ? Un siècle ? J'ai dormi si longtemps que je ne m'en souviens plus. J'ai juste le vague souvenir qu'un jour, ou était-ce une nuit, j'ai ouvert les yeux.
Pas franchement au début, non. J'ai juste entrouvert mes paupières. Ma vision était encore très floue. Je ne distinguais que des ombres, quelques couleurs, des formes parfois, guère plus. Puis, le temps aidant, j'ai commencé à voir de mieux en mieux. J'ai écarquillé les yeux un peu plus. Les ombres ont cessé d'en être, les couleurs ont revêtu la robe de l'arc-en-ciel, les formes se sont affinées. Combien de temps cela a-t-il pris ? Trois ans, trois mois et trois jours, on dira.
J'ai alors pris conscience du monde qui m'entourait. Bien différent de celui d'antan, et pourtant si identique. Cela n'a pas été facile tous les jours, et encore moins les nuits. Quand j'arrivais de nouveau à dormir, mon sommeil était désormais hanté par les rêves qui affluaient, en masse. Tels des prédateurs tapis dans l'ombre et fondant soudainement sur leur proie. Ces rêves que j'avais abandonnés en chemin, il y a longtemps. Ces rêves venant de nouveau perturber la sérénité de mes nuits.
J'ai bien tenté à quelques occasions de retrouver ce sommeil sans rêves, mais le mal était fait. Il était trop tard pour revenir en arrière. A cause de cette lumière, au loin, qui m'attire et m'hypnotise, m'empêchant de m'endormir dans le noir. Cette petite étoile perdue dans l'immensité du ciel que je vois même les yeux fermés.
A cause d'elle, le jour j'erre tel un fantôme, hagard, et la nuit je reste éveillé, de peur de la perdre du regard.
A suivre le chemin vers cette lumière, dans cette errance qui semblait pourtant sans fin, pas après pas, après avoir gravi ce qu'il me semblait être une montagne, je suis arrivé au bord d'une falaise. Ou de ce qui peut y ressembler.
Debout au bord de l'abîme, j'ai les yeux grands ouverts et je ne vois, à perte de vue, que le néant me séparant de cette lueur. J'en regarde le fond et je ne le vois pas. Je regarde sur les cotés, et je n'en vois pas la fin. Je regarde devant moi de nouveau et l'étoile est là. Si lointaine, à la lumière si ténue, virevoltant telle la flamme d'une bougie, qu'elle en est presque invisible. Mais elle est là. C'est l'essentiel.
Et je sais qu'un jour il me faudra sauter par-dessus l'abîme. Pour rejoindre mon étoile. Ce sera mon saut de l'Ange. Mais d'ici à ce jour, il me reste un dernier acte à faire. Je m'y prépare, assis au bord de l'abîme, les pieds dans le vide, les épaules en arrière, la paume de mes mains bien à plat sur le sol, mes doigts caressant l'herbe verte. Des effluves d'encens embaument l'air que je respire, mon esprit s'abreuvant de ce parfum délicat. Je contemple le néant, serein.
Et je me dis qu'aujourd'hui je n'ai plus envie de dormir, je n'ai plus envie de rêver. Je me demande seulement si j'ai bien fait de me réveiller.
#1 - Melgart a dit :